Ida, trois lettres, trois filles pour un prénom…

#RDVAncestral –  18 Novembre 2017

Comme tous les matins, telle une reine mère, elle trône. Assise dans son lit, droite comme un i, parmi ses oreillers, elle attend…

La chambre est dans la pénombre, les persiennes entrouvertes laissent passer quelques rayons de soleil. La journée sera chaude, mais la pièce est encore fraîche. Silencieuse, attentive au moindre bruit, elle attend….

Ses cheveux blancs nattés, sa peau claire et parcheminée, ses yeux encore vifs derrière ses lunettes, Bonne-maman attend les hommages du matin. Vieille dame, nous ne révèlerons pas son âge, mais sachez qu’elle a plus de quatre-vingt-dix ans. Elle attend….

Sur la table de nuit, quelques flacons mystérieux, un missel, un chapelet, quelques friandises, une broderie à petits points. Immobile mais sur le qui-vive, elle attend…

Des pas se font entendre, petits pas menus, furtifs et hésitants, trottinements d’enfants. On ne court pas près de la chambre de Bonne-maman.

Tous les matins, pendant ces vacances d’été, c’est le rituel. Pas question d’y déroger, c’est procession dans sa chambre. Bonne-maman attend ses enfants, petits-enfants, arrière- petits-enfants pour le salut matinal, et si l’humeur lui en dit, distribution de friandises. Après ce cérémonial quotidien, la journée peut commencer. Pas question de s’égailler dans la nature pour les enfants ou de vaquer à ses occupations sans cet immuable rendez-vous. D’une voix autoritaire, teintée d’un léger accent italien nous serions alors rappelés à l’ordre ! Son grand âge ne lui fait pas perdre la tête, loin de là, il a même tendance à développer son sens du spectacle et de la tragédie. Bonne-maman de santé fragile dit-elle, a reçu, le sacrement de l’Extrême onction 6 ou 7 fois !

Allons-nous égrener son chapelet de souvenirs, évoquer sa mère, Ida Alexandrina Conte née Mac Donell ?. Vais-je garder pour moi ce que je sais aujourd’hui ? Partager avec elle, mes découvertes si surprenantes que je les aie crues, pour partie, erronées ou inventées ?

Nulle trace dans les papiers de famille de ces événements. Effacés, oubliés, occultés ? Que savait Bonne-maman ? Et si elle savait, pourquoi cette mise au secret ? Difficile à l’aune du 21ème siècle de chercher à comprendre ces épisodes du 19ème. Est-ce à nous, arrière-arrière-petits-enfants de mettre en lumière ces faits et nourrir ainsi la mémoire familiale ?

Ida Alexandrine, vous la connaissez un peu, j’évoque dans ce billet (ICI) son union avec Augusto Conte, et ses dix enfants, dont mon arrière-grand-mère, Carmen, ma Bonne-maman à moi.

Fille du couple Ida Louise Mac Donell et Hugh Mac Donell, Ida Alexandrina est née le 5 mai 1832 à Florence (1). Lorsqu’elle épouse Augusto Conte en 1853 à Florence (2), à l’âge de 21 ans, elle est déjà veuve, ainsi qu’il est mentionné sur l’acte de son second mariage dans les registres de Florence. Elle s’est certainement convertie à la religion catholique à cette occasion. La mention « Vedova » (veuve) est apposée sur ce document. Une précision que je n’ai pas relevée lors de ma première lecture.

Mais voilà, en poursuivant mes recherches je découvre qu’avant d’être mariée, Ida Alexandrina fut mère. En effet, elle met au monde en janvier 1850 une petite fille prénommée Ida, comme sa mère et sa grand-mère toujours vivante, l’enfant semble ainsi placée sous une double protection. Il n’empêche, la petite Ida décèdera 6 heures après sa naissance, le 30 janvier 1850 à Florence.

Acta de Defunción de Ida Kleinkauf Cementerio Ingles de Florencia (2)
Reg. d’inhumation – Cimetière des Anglais, Florence.  Transmis par F. Conte Mac Donell

Ida Alexandrina se marie ensuite à Florence le 28 mai 1850, soit 4 mois après ce tragique évènement, avec le père de sa fille, Frederick Adolph KLEINKAUF, capitaine dans l’armée Autrichienne, né à Vienne en 1827 (3).

Pour quelles raisons ce mariage intervient-il 4 mois après la naissance puis le décès de leur fille ? Question sans réponse. Seule hypothèse : le futur époux, militaire, est autrichien, Ida Alexandrina est britannique, on peut penser qu’ils avaient besoin d’autorisations particulières pour s’épouser. Mais ni la naissance et le décès de leur fille, ni ce premier mariage ne sont rapportés dans les papiers de famille.

Impossible d’en savoir plus quant à cet homme, il ne reste de lui qu’un nom sur une tombe. Frederick Adolphe Kleinkauf décède subitement le 19 avril 1851 à Florence. Si les sources sont exactes (4), il a 24 ans lorsqu’il décède. Ida Alexandrina (19 ans), perd sa fille et son époux en l’espace de 15 mois (4).

Ida Alexandrina se remarie en 1853, avec Augusto Conte y Lerdo de Tejada. Le 19 août 1855, naîtra leur deuxième fille Ida Giovacchina. Au prénom Ida est accolé un second prénom. Ida Giovacchina est pourtant nommée la plupart du temps « Ida », sans autre prénom. Les quelques informations que je possède la nomment ainsi. Sa pierre tombale m’apprendra l’existence de son second prénom (5). Ces trois lettres, ce prénom ida renvoie à la grand-mère maternelle, à la mère mais aussi au souvenir traumatique de cette première enfant qui n’a vécu que 6 heures. Le deuxième prénom est peut-être donné pour tempérer ce traumatisme, la protéger.

Après la naissance de plusieurs enfants, le 8 août 1869, Ida Alexandrina met au monde, à Copenhague, également lieu de naissance de sa mère (Ida Louise Mac Donell née Ulrich), son dernier enfant, une fille, avec pour seul prénom Ida. Comme précédemment, le prénom porte ici une triple référence ; le renvoi à la grand-mère maternelle toujours en vie, le renvoi à la mère, et la commémoration de l’enfant mort, qui n’a pas été en devenir.

La petite fille décédera également le jour de sa naissance soit le 8/08/1869 (6). Dix-neuf ans après, l’histoire se répète. La 1ère fille et la dernière fille d’Ida Alexandrina, soit son 11ème enfant ne survivront pas. A toutes deux il sera donné Ida pour unique prénom et toutes deux perdront la vie le jour même de leur naissance.

Pour ce dernier enfant, j’apprends que le prénom Ida a été choisi par le père, Augusto Conte, en hommage à l’amour qu’il porte à son épouse Ida Alexandrina. Si cette naissance n’a jamais été mentionnée, Augusto Conte a laissé quelques notes personnelles intitulées : « Noticias de la niña que perdimos en Copenhagen » (Notes sur la petite fille que nous avons perdue à Copenhague) (7). Dans ces papiers, il raconte également les circonstances du décès de la petite Idita (diminutif de Ida), prématurée de 6 mois, son inhumation en présence de ses enfants les plus grands. J’apprends que mon arrière-grand-mère âgée alors de 4 ans, n’était pas présente. Je ne connais ces éléments que depuis deux jours. Augusto Conte, conserva, à l’abri des regards ses notes et l’acte de décès de sa fille. Il ne parla jamais plus de ce grand chagrin, pas plus qu’il ne l’évoque lorsqu’il rédige ses mémoires.

IDA_1 (2)
Attribution du prénom IDA sur trois générations

Cette persistance à nommer trois de ces enfants Ida me trouble… Elle met en lumière, l’importance et la personnalité reconnue de l’aïeule Ida Louise Mac Donell, figure certainement essentielle et imposante de la famille ; son destin hors nome le laisse préfigurer (ICI) et (ICI). La volonté de transmettre ce prénom paraît évidente. Il n’est cependant pas systématiquement attribué à l’aînée des filles. La grand-mère et la mère le portent accompagné d’un deuxième prénom pour chacune, une des petites filles (Ida Giovacchina) également. Lorsqu’il est attribué pour seul prénom, les petites filles ne survivent pas. Que penser…  Hasard, coïncidence, fatalité ?

Toujours est-il que plus jamais dans la famille, d’autres petites filles n’auront pour seul prénom Ida, il sera toujours associé à un ou plusieurs autres prénoms. Plus que pour conjurer le sort, il renvoie surtout à l’aïeule, Ida Louise Mac Donell née Ulrich, qui reste une figure emblématique de la famille, et toutes ces petites filles vivront.

Je garde toutes ces pensées pour moi, et laisse Bonne maman aux siennes. Si par méconnaissance, douleur ou pudeur ces histoires intimes sont restées tues, elles émergent aujourd’hui et ce n’est pas sans émotion que l’on s’y penche. La résonnance en nous est parfois telle, que l’écriture devient difficile. Et si ce chapitre de l’histoire familiale n’était pas destiné à être partagé ? Et si justement il nous incombait de le mettre en lumière ? J’ai longuement oscillé entre les deux et j’ai pris le parti de raconter, une petite voix m’a dit qu’il le fallait. Les papiers personnels d’Augusto Conte, entre nos mains depuis peu, nous montrainent le chemin, le temps était venu de réinscrire ce chapitre dans notre histoire familiale, nous avions laissé assez de temps au temps…

 

Merci à Francisco Conte Mac Donell pour son aide et les éléments qu’il a mis à ma dispostion pour la rédation de cet article. 

SOURCES :

(1) Pierre tombale – Cimetière de la Porte sainte – Florence – Photo Francisco Mac Donell

(2) Registre de mariage Florence – San Pietro Gattolino -Septembre 1853 – Vue 482

(3) Foreign registers and returns – Pièce 114 – Florence – Marriages 1840 -1855

(4) Florin web site  : (ICI)

(5) Pierre tombale – Cimetière de la Porte sainte – Florence – Photo Francisco Conté Mac Donell

(6) Acte de décès Copenhague – Archive Francisco Conte Mac Donell

(7) Archives personnelles Francisco Conte Mac Donell

 

 

 

 

 


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