Voyages et circumnavigation… Nicolas Pierre Duclos Guyot

Partie 2

Vous avez maintenant fait connaissance avec l’environnement familial de Nicolas Pierre, sa mère fille de marin et son père ferblantier, établi on ne sait pour quelle raison à Saint-Malo.

Est-ce le lieu qui prédestine Nicolas Pierre à répondre à l’appel de la mer ? Sans hésitation, je répondrai par l’affirmative à cette question. Légendaire Saint-Malo cité corsaire et terre de marins ancrée dans la mémoire des amoureux de la mer… Alors, désir de conquêtes et d’aventures pour certains des fils GUYOT ? Influence du grand-père maternel, François SEIGNEURY, capitaine de vaisseau ? Nécessité économique pour le père ? Tant de bouches à nourrir, il faut bien rapidement assurer un métier à ces pt’its gars et qui sait, pourront-ils aussi faire commerce dans les iles ou ailleurs des articles de ferblanterie fabriqués par le père ? … Alors, tu seras marin mon fils et fils de mon fils tu le seras aussi, et moi je cours les mers, champs d’action ou champs de bataille, à la recherche de Nicolas Pierre, le plus connu d’entre eux, je navigue à vue !

Marin au commerce, sur les vaisseaux du roi ou de l’Etat Il n’est pas envisageable d’évoquer sa carrière hors du contexte historique. Une dose de curiosité et de passion, un goût pour l’histoire, deux maîtres mots sources et vérifications, me conduisent à des recherches sans limite mais toutefois limitées.

La carrière de Nicolas Pierre débute en 1734, âgé de 12 ans il embarque sur la Duchesse, (500 tonneaux, 36 canons, 161 hommes) navire de la Compagnie des Indes en qualité de mousse avec une solde de 6 livres (1). Son âge n’est pas une exception, beaucoup de marins commencent à naviguer au plus jeune âge. Bien souvent les fils de capitaines ou d’officiers sillonnent les mers à peine sortis de l’enfance (2).

Nous sommes en temps de paix, et les premiers navires sur lesquels officie notre apprenti marin sont des bâtiments de la Compagnie des Indes. Il est enregistré en 1736 sur le Condé sous le nom de Pierre GUYOT (600 tonneaux, 30 canons, 149 hommes) (3), sur le Saint-Géran (4) en 1739 (600 tonneaux, 28 canons, 144 hommes) il est noté sous le nom de Pierre GUIOT ou GUYOT (4). En 1744, il est 1er enseigne sur le Saint-Michel (5).

Extrait document SHD – Mémoire des services de M. DUCLOS GUYOT – 31/12/1790

En temps de guerre ; guerre de Succession d’Autriche (1740 – 1748) et guerre de Sept Ans (1756 – 1763), Nicolas Pierre est corsaire. la course devient une activité de survie pour les ports français confrontés aux corsaires anglais. La guerre navale paralysant les ports, équipages et navires n’ont d’autre choix que de s’engager dans cette activité.

En 1756, Nicolas Pierre capitaine, commande un corsaire de 150 tonneaux la Victoire tandis que débute la guerre de Sept Ans. Il se livre à la guerre de course seul ou avec son frère Alexandre Michel commandant du Port-Mahon. Font-ils fortune ? L’histoire ne le dit pas. Mais il est dit qu’ils firent quelques prises ; sept navires dont deux corsaires de Guernesey (6). Pas de prises pour mes recherches, aucune autre information qui puisse valider ces éléments.

Corsaire… Vous avez dit corsaire… et vient immédiatement à l’esprit Surcouf ou Dugay-Trouin gloires malouines écumant les mers et dont les noms faisaient trembler tous les marins anglais !

Le corsaire est une personne armateur, capitaine ou membre d’équipage d’un navire civil armé, autorisée par une une lettre de marque (également appelée « lettre de commission » ou « lettre de course » à attaquer en temps de guerre, tout navire battant pavillon d’États ennemis, et particulièrement son trafic marchand, laissant à la flotte de guerre le soin de s’attaquer aux objectifs militaires. Les corsaires exercent leur activité en temps de guerre et avec l’autorisation de leur gouvernement. Ils ont un statut équivalent aux militaires sans être rattachés à un état major, mais obéissent aux lois de la guerre (7).

Capturés, ils ont droit au statut de prisonnier de guerre. Cette forme de guerre navale est appelée « guerre de course » « courir sus aux navires ennemis » Le terme corsaire désigne le marin mais aussi le bateau.

Le 18 décembre 1756, a l’âge de 34 ans, Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT est reçu capitaine à Saint-Malo avec « dispense de sa majesté pour les deux campagnes que le comparant était obligé à faire à son service ». Le roi prend en compte ses années en course (8).

Extrait document SHD – Mémoire des services de Pierre Nicolas GUYOT DUCLOS, Capitaine de vaisseau – 10/03/1794

La guerre de Sept Ans (1756-1763) oppose la Grande-Bretagne, la Prusse et Hanovre à une alliance regroupant La France, l’Autriche, la Suède, la Saxe, la Russie et plus tard l’Espagne. La guerre est menée sur mer, en Europe, en Inde et aux Amériques. La Grande-Bretagne s’attaque à la marine et aux colonies françaises, notamment la Nouvelle-France au Canada. A Québec, la destinée de Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT croise celle de Monsieur de Bougainville !

LE CANADA

En 1756, Louis- Antoine de Bougainville, diplomate, ami des philosophes se trouve au Canada. Il n’est pas encore marin. Il est nommé aide de camp du général Louis Joseph de Montcalm commandant des troupes de Nouvelle-France. Il participe à la défense de la colonie et aux batailles contre les Anglais. La colonie exsangue est au bord de la famine.

En 1758, la Victoire est affrétée par le roi pour apporter vivres, hommes et munitions au Canada, Nicolas Pierre reçoit à cette occasion une commission de lieutenant de frégate (6).

Extrait document SHD – Mémoire des services de M. DUCLOS GUYOT – 31/12/1790

(Il faut savoir que tout marin pouvait être engagé au service du roi. Les registres et matricules des gens de mer ont été mis en place dans ce but et servent au recensement des marins. Ils peuventservir alternativement au commerce et au roi).

Corsaire de 150 tonneaux, armée à Saint Malo le 22 février 1758, sortie le 11 mars, La Victoire est  à Québec depuis le 2 juillet 1758. Elle sera désarmée le 14 août 1758. Sur le site de migration. fr se trouve la transcription du rôle de ce navire et j’apprends qu’un fils de Nicolas Pierre, Louis GUYOT, est à bord. Le rôle du navire mentionne le décès de celui-ci le 22 juillet 1758 à Québec sans plus d’informations.

Un mois auparavant, pour apporter d’ultimes renforts à la Nouvelle-France, la Marine Royale réquisitionne et arme à Bordeaux, dans l’urgence, un convoi de cinq navires marchands, le Bienfaisant, le Soleil, l’Aurore, la Fidélité et le Marquis de Malauze qui doit être escorté par une frégate de vingt six canons, le Machault. Le commandement de la flottille est confié à François Chenard de la Giraudais.

(Tout au long de la guerre, le roi devient le principal affréteur des bâtiments de commerce à destination du Canada. Les bâtiments de la marine royale ne sont pas assez nombreux pour assurer le transport de tous les soldats, munitions et vivres que le roi expédie ; le souverain recourt aux bâtiments commerciaux).

Parmi ce convoi, La Chézine, frégate de 26 canons, 400 tonneaux, sur laquelle embarque Bougainville, son commandement a été confié à Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT. La frégate quitte Nantes le 31 décembre 1758 pour atteindre Bordeaux le 10 janvier 1759. Le 28 mars 1759 la Chézine quitte Bordeaux pour rallier Québec. Le navire laisse le convoi et fait route seul, Bougainville est pressé d’arriver, sa destination est atteinte le 10 mai 1759. Le reste du convoi arrive le 15 sans être intercepté par les Anglais (9) et (10).

Extrait document SHD – Mémoire des services de M. DUCLOS GUYOT – 31/12/1790

Monsieur de Bougainville met à profit cette traversée pour parfaire son enseignement maritime auprès de Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT, nouer des relations de confiance, peut-être même d’amitié. Le destin fait parfois bien les choses. Le marin aguerri n’a-t-il pas évoqué auprès de Bougainville ses multiples campagnes sur la mer ? Inversement, Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT est roturier, une relation comme celle-ci n’est peut-être pas à négliger.

En juin 1759, Bougainville prend le commandement du camp de Beauport près de Québec. Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT participe aux opérations de défense. Il commande une division de chaloupes canonnières sur le Saint-Laurent. Il fait également établir une batterie pour protéger les lignes de Beauport ; les équipages concourent à la défense de la colonie en coopérant aux travaux de génie et d’artillerie.

Les affrontements se poursuivent autour de Québec. Le 13 septembre 1759, la bataille des Plaines d’Abraham se solde par la défaite des Français, Québec capitule le 18 septembre 1759 et le 8 septembre, c’est au tour de Montréal. Bougainville organise le départ des troupes sur des bâtiments anglais, fait prisonnier avec le reste de l’armée, il quitte le Canada.

Bougainville est déporté en France sur un vaisseau anglais. Le roi d’Angleterre autorise celui-ci à resservir en Europe, En 1761 il est aide de camp de Choiseul Stanville en Allemagne.

La guerre de Sept Ans (1756-1763) et la signature du Traité de Paris en 1763 signifient pour la France la perte d’une grande partie de ses colonies en Amérique du Nord au profit de la perfide Albion. La France songe alors à reconstruire son empire colonial, en créant de nouvelles colonies dans des lieux encore inoccupés par les États européens et conforter son commerce maritime.

LES ILES MALOUINES

Bougainville émet le projet de créer aux Malouines –Iles Falkland au large de l’Argentine- une nouvelle colonie qui compenserait la perte de la Nouvelle-France. Les îles étaient connues des navigateurs et commerçants de Saint-Malo, qui les avaient baptisées Malouines en hommage à leur ville. Bougainville propose de financer l’expédition sur ses propres deniers. Choiseul alors ministre de la Marine ne s’oppose pas à cette initiative. Le 15 juin 1763, Bougainville est nommé Capitaine de vaisseau.

Et l’on retrouve Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT. C’est à lui que Bougainville confie le soin de faire construire  deux navires, l’Aigle et le Sphinx, de les armer sous son propre nom. Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT est nommé deuxième officier commandant de l’Aigle sous les ordres de Bougainville. Le Sphinx est commandé par François Chenard de La Giraudais, fils de marin, âgé de 34 ans et ayant 29 ans d’expérience de la navigation. (Chenard de la Giraudais, également compagnon de Bougainville au Canada) (11).

Entre 1763 et 1766, près de 200 volontaires acadiens décident de prendre part au grand voyage au bout du monde. Avec l’autorisation du roi de France et le maintien royal d’une solde de six sous par jour pour chaque Acadien. Les deux navires l’Aigle, armé de vingt canons, et le Sphinx, de douze, quittent le port de Saint-Malo le jeudi le 15 septembre 1763. Jusqu’en 1766, les deux navires réalisent trois expéditions aux Iles Malouines. Le deuxième voyage est relaté par Antoine Pernety, aumônier et naturaliste.

Gallica – Antoine Pernety – Journal historique fait aux Iles Malouines – Tome 2  – Vue de la baie de la plus grande des Iles Malouines

 

Bien mauvaise nouvelle au retour de la dernière expédition, l’Espagne revendique les Iles Malouines et considère que ces iles font partie de leur vice-royaume du Pérou. Soucieux d’éviter un conflit avec son allié, Louis XV céda ses droits sur l’archipel. Choiseul, Ministre de la Marine, qui a besoin de l’alliance avec l’Espagne répond favorable à la demande espagnole.

À titre de dédommagement, Bougainville reçoit une forte somme de la couronne d’Espagne, ainsi qu’une mission à l’origine de ses aventures extraordinaires : revenir en France après la session des Malouines par la route du Pacifique et, devenir le premier Français à réaliser un tour du monde.

LE TOUR DU MONDE

Pour cette expédition, Bougainville dispose de deux navires, la flûte l’Etoile et la frégate la Boudeuse :

L’Etoile embarque 106 hommes dont : un botaniste Philippe Commerson et son valet Jeanne Barret, première femme à faire le tour du monde, un astronome Pierre Antoine Veron. Le navire est commandé par François Chenard de la Giraudais. Ce deuxième navire sert en quelque sorte de garde-manger pour la Boudeuse (12).

Frégate du roi, la Boudeuse embarque à son bords 214 marins. Le rôle du navire est repris dans le journal autographe de Bougainville cote MAR/4JJ/17ter, Archives Nationales, document numérisé. Y figurent également : Pierre DUCLOS GUYOT, volontaire, Alexandre DUCLOS GUYOT volontaire, tous deux fils de Nicolas Pierre et Josselin LE CORRE, officier bleu, beau-frère.

(Officier bleu par opposition à officier rouge. L’officier bleu ou cadre d’auxiliaires était un officier qui n’était pas issue de la noblesse et des Gardes-marines. C’était un roturier issu de la marine marchande et qui avait plusieurs années d’expérience de navigation. Il était intégré à la Marine Royale pour une période temporaire, particulièrement en temps de guerre).

La Boudeuse

La Boudeuse quitte Brest en 1766 arrive à Montevideo le 31 janvier 1767, le 28 février en compagnie de frégates espagnoles le navire se rend aux Malouines et atteint Port Saint Louis le 23 mars 1767. La colonie française est officiellement remise aux espagnols le 1er avril 1767. Les Malouines deviennent « Las Malvinas ». Bougainville quitte pour une dernière fois les Malouines le 1er juin 1767 et arrive à Rio de Janeiro le 20 juin 1767 où il retrouve l’Etoile. Le 14 juillet, Bougainville quitta Rio pour Montevideo.  Le bateau traverse l’Atlantique. Bougainville emprunte le Détroit de Magellan et fait escale à Tahiti (Ile de Cythère) où il rencontre les insulaires, traverse l’océan Pacifique, découvre les Nouvelles Hébrides et les Iles Salomon. C’est après deux escales en Nouvelle-Guinée puis sur l’Ile Maurice qu’il franchit le cap de Bonne-Espérance, contourne l’Afrique et accoste à Saint-Malo le 16 mars 1769. A son retour, Nicolas Pierre est âgé de 44 ans.

C’est le premier tour du monde officiel français. Un succès sanitaire pour l’époque ; pendant deux ans et quatre mois officiers et équipage font preuve de qualités exceptionnelles durant l’expédition puisqu’ils reviennent sains et saufs avec seulement une perte de 7 hommes sur la Boudeuse. On ne peut s’empêcher de penser à Monsieur de Lapérouse qui ne reviendra jamais de son expédition autour du monde en 1788. Plus tardive, cette expédition semblait pourtant mieux préparée que celle de Bougainville. (Source : Bougainville-Lapérouse – Deux voyages bien différents par Etienne Taillemite – https://www.musee-marine.fr/sites/default/files/coll_laperouse_etienne_taillemite.pdf)

Sce : Gallica – Louis Antoine de Bougainville – Développement  de la route faite autour du monde par les vaisseaux du roy La Boudeuse et L’EtoIle- 1771

Bougainville écrira et publiera le récit de cette grande aventure sous le titre de  » Voyage autour du monde » et à son retour sera définitivement intégré à la Marine.

Clap de fin pour les aventures de Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT et de Monsieur de Bougainville.

L’APRES BOUGAINVILLE

En 1770, notre marin rencontre quelques déboires avec René Auguste de Chateaubriand, armateur, père du célèbre écrivain. Deux sauf-conduits accordés au sieur Duclos-Guyot, armateur à Saint-Malo, son débiteur, en raison de la vente par lui faite à ce dernier du navire le Jean-Baptiste se trouvent aux Archives nationales à Vincennes, Cotes : MARC/C/7/1 -MAR/C/7/89. Dans cette affaire Nicolas Pierre aurait reçu l’aide de Bougainville, mais je n’en sais pas plus.

En 1771, Nicolas Pierre obtient le commandement d’un cotre du roi, le Moucheron, (vaisseau du Roi) qu’il conduit cinq fois sur les côtes d’Angleterre et d’Irlande (5).

De 1772 à 1775, il est successivement sur la Catherine de Nantes (Inde et Chine) et la Nathalie (Cie des Indes), deux bâtiments de commerce dont il est capitaine (5).

En 1776, il navigue sur la Belle Poule, de septembre 1776 à mai 1777, bâtiment dont le capitaine est Sillart. En juillet 777, il est envoyé en Ile de France (Ile Maurice pour prendre le poste de commandant du port. Il embarque sur la Belle Poule qu’il sauve d’un naufrage au large des Açores (11).

Le 31 mai 1771 Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT est nommé chevalier de la Croix de Saint Louis, mérité dit-on par le sauvetage de la Belle-Poule (12).

En 1778, il commande le Flamand chargé de porter des troupes et des munitions à l’Ile de France. Au désarmement de ce dernier navire, Nicolas Pierre prend le commandement du port de l’Ile de France suivant les ordres du Roi du 27 juillet même année. Il exerce cette fonctions jusqu’au 14 décembre 1782. Au cours de cette période, il rentre en France pour maladie indique son dossier SHD sans autres détails. Toujours pendant cette période, il commande la flute du Roi l’Osterley « pour aller chercher des vivres à la rivière de la Plata, la colonie étant dans le besoin ». Lettre du Vicomte de Souillac. En 1782, il est alors âgé de 60 ans.

Dossier SHD – Courrier du vicomte de Souillac

Il prend sa retraite à Saint-Servan. Après la révolution, le 31 juillet 1789, il devient commandant de la Garde nationale de Saint-Servan-sur mer.

Dossier SHD – Brevet de pension – 1784

CAMPAGNE DE SANT DOMINGUE

Le 10 mars 1792, âgé de 70 ans, il prête le serment civique ; notre homme est rappelé au service et conduit pendant la campagne de Saint-Domingue l’América vers cette ile. Ses biographes concluent ce dernier commandement en ajoutant « Une mutinerie éclate à son bord » sans autres explications. Ce commentaire me chagrine, je trouve cette conclusion triste, et peu honorable pour ce vieux marin. Je ne m’en satisfais pas, je chercher à en savoir d’avantage et me voilà plongée dans tout ce qui concerne de près ou de loin l’ile d’Hispaniola.

En 1792, Saint-Domingue, colonie française, est au bord de la guerre civile.  Au Cap Français, se trouvent regroupés tous les navires de la République en poste dans la colonie depuis 1790 et 1791. A ces bâtiments se rajoutent les navires de commerce rassemblés dans la rade afin d’être ramenés en France en convoi. Pierre César Charles de Sercey, contre-amiral est chargé d’accompagner et d’assurer la sécurité des navires marchands.  La France déclare la guerre à la Grande-Bretagne, le 1er février 1793, puis à l’Espagne le 7 mars 1793.

Une grande insubordination règne alors parmi les marins privés de solde depuis dix-huit à vingt mois, impatients de revenir en France. La marine des colonies se sent abandonnée par la mère patrie et subit le bouleversement de la Révolution. Elle manque de tout, matériel et hommes. Le défaut de communication entre la métropole et l’île, le décalage des informations n’arrangent rien à cette situation. En outre, les officiers de marine sont peu favorables au gouvernement. Insubordination et indiscipline règnent dans les rangs des équipages des vaisseaux de l’état et se propagent aux bâtiments de commerce. Les officiers restent impuissants. A cela s’ajoute la déportation des opposants embarqués et répartis sur divers navires pour être envoyés en France.

C’est dans ce contexte que le 17 septembre 1792 aborde sur les cotes de Saint-Domingue l’América avec à son bord Léger Félicité Sonthonax, Etienne Polverel et Jean-Antoine Ailhaud, commissaires civils accompagnés de 6000 hommes chargés de réprimer les insurrections.

L’agitation est à son comble. Les mesures prises par les deux commissaires civils, favorables aux mulâtres et aux libres de couleur provoquant la colère des « grands Blancs » –à tendance royalistes-  riches propriétaires qui craignent l’abolition de l’esclavage. Les « Petits blancs » sont des colons de condition modeste plutôt républicains et  favorables aux commissaires, ils se montrent aussi hostiles que les « grands Blancs » aux mulâtres et aux hommes libres de couleurs. Aussi les « grands Blancs » et les « petits Blancs » auparavant ennemis, s’allient contre les commissaires Sonthonax et Polverel, les mulâtres et les gens libres de couleurs.

Le 1er février 1793 La France déclare la guerre à la Grande-Bretagne, puis à l’Espagne le 7 mars 1793.

Le 7 mai 1793 débarque au Cap le général de brigade François Thomas Galbaud, créole de l’armée républicaine, pour occuper le poste de gouverneur. Il débarqua au Cap avec ses troupes, début mai 1793. Prenant le parti des colons esclavagistes, il se rebelle contre les commissaires civils. Propriétaire, Galbaud est destitué de ses fonctions, (Un propriétaire ne pouvait pas être gouverneur). Les commissaires civils donnent l’ordre à Joseph de Cambis (Contre-amiral, il commande l’escadre de la station) de l’arrêter et de le conduire prisonnier sur l’America pour qu’il se rende en France demander de nouveaux pouvoirs. Il s’y soustrait et embarque sur la flute la Normande, soulève à nouveau les marins et se met sous la protection de ceux-ci.

Des troubles se produisent entre marins et mulâtres, ce ne sont que désordres, rixes et violence dans toute la ville. Le 20 juin 1793, Galbaud reprend son titre de gouverneur général et appelle les équipages de tous les navires à se soulever pour expulser les commissaires civils de la colonie. Il se rend avec son frère à bord de tous les bâtiments. Il ne rend pas sur l’America et pour cause, c’est sur ce navire que les commissaires civils voyagèrent pour Saint-Domingue et tissèrent des liens particuliers avec l’équipage. Galbaud libère tous les déportés, prend le commandement de la station et met Cambis aux arrêts.

Rapport sur les troubles de Saint-Domingue – J. Ph. Garran – Tome II – Imprimerie nationale – Paris 1796-1799

Du 20 au 22 juint 1793 des combats opposent les partisans de Galbaud à ceux des commissaires civils.  Galbaud, sur le point de remporter la victoire contre les commissaires se heurte aux esclaves. Estimant que leur heure est venue, ceux-ci entrent au Cap, écrasent les forces de Galbaud le 23 juin et sauvent ainsi les commissaires civils. Acculé, Galbaud promet aux esclaves la liberté. Les soldats mulâtres prennent les armes. Après deux jours de combat, les commissaires évacuent la ville et se replient à Haut-le-Cap. Le 21 juin, les esclaves rebelles attaquent la ville. Les insurgés blancs décident de prendre la fuite. La ville est incendiée et pillée.

La  panique s’empare de la population blanche qui, terrifiée, cherche à embarquer sur les bâtiments en rade.

Le 24 juin, il est convenu faire partir la flotte entière pour les États-Unis, premier point pour regagner la France. Réfugiés pendant le sac de la ville, Il s’y trouvait de nombreux habitants de l’île.

Le 24, sous le commandement du contre-amiral Sercey, l’escadre fait route, encadrant un convoi de 120 navires. Le Jupiter sous les ordres du contre-amiral Cambis met les voiles dans la journée du 25 pour la baie de Chesapeake en Nouvelle-Angleterre avec Galbaud à son bord.

Il ne reste sur la rade du Cap que le vaisseau l’América dont l’équipage n’a pas pris part à la révolte ; une frégate hors d’usage et deux goélettes de l’État, la Républicaine et la Convention nationale. Ainsi, les commissaires civils n’ont plus aucune force maritime pour s’opposer aux Anglais.

L’América, envoyé peu de temps après l’incendie du Cap en croisière par les commissaires civils, part de lui-même pour les États-Unis et de là en France (13).

Alors que penser de cette « mutinerie » à bord de l’América ? l’insubordination ne régnait-elle pas à bord de tous les vaisseaux stationnés à Saint-Domingue ? Je vous laisse juge ! Je n’ai pas trouvé trace non plus d’une mutinerie à bord du navire lors de son retour en France. Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT apparaît comme un homme loyal à ses équipages et à ses engagements. Son dossier SHD ne fait pas état d’une quelconque mutinerie.

Après toutes ses aventures, le 16 janvier 1794, Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT prend alors sa retraite définitive à 72 ans, après avoir mené 25 campagnes dont 22 sur mer. Officier de la marine marchande, corsaire, officier pour le roi et l’Etat,

Dossier SHD – Mémoire de Nicolas Pierre DUCLOS GUYOT – 31/12/1790

Il décède le 10 mars 1794 à Saint-Servan-sur-Mer âgé de 72 ans. Notre capitaine  aura traversé les mers, traversé le temps ; Louis XV, Louis XVI, la Révolution, et décèdera sous la Terreur. De GUYOT, il deviendra DUCLOS GUYOT pour la postérité.

Nicolas-Pierre, malouin, capitaine de vaisseau, fils de ferblantier, petit-fils d’un maître fondeur, arrière-petit-fils d’un jardinier vigneron presque parisien. Le savais-tu, toi le roturier qui semble avoir gardé le cap d’une vie en toute humilité ?

Jules Verne écrira de lui « …. Habile marin vieilli dans les rangs inférieurs parce qu’il n’était pas noble ». Il ajoutera : « Quant à Guyot-Duclos, son poste secondaire dans l’entreprise (Tour du monde avec Bougainville) et sa roture ne lui valurent aucune récompense. S’il fut nommé plus tard chevalier de Saint-Louis, il le mérita par son sauvetage de la Belle-Poule. Bien qu’il fût né en 1722, et qu’il naviguât depuis 1734, il n’était encore que lieutenant de vaisseau en 1791. Il fallut l’avènement de ministres imbus de l’esprit nouveau pour qu’il obtînt à cette époque le grade de capitaine de vaisseau, tardive récompense de longs et signalés services ». (11)

Dossier SHD – Etat des services du citoyen GUYOT – 10 mars 1794

SOURCES :

Saint Domingue ou histoire de ses révolutions – Paris – Chez TIGER (Pas de date, ni d’auteur).

(1) Mémoire des Hommes – Rôle de la Duchesse (1734-1735) – 2 P 25-11.17 – Enregistré sous le nom de DUCLOS Pierre Alexandre – n° 154.

(2) (Source https://journals.openedition.org/tc/1393 – Les filières d’apprentissage.

(3) Mémoire des Hommes – Rôle du Condé (1736-1738) – 2 P 26-III.17 – Enregistré sous le nom de Pierre GUYOT – n° 134.

(4) Mémoire des Hommes – Rôle du Saint-Géran (1739-1741) – 2 P 29-I.5 – Enregistre sous le nom de Pierre GUIOT ou GUYOT – n° 134.

(5) SHD Vincennes – Dossier individuel – Cote MV CC7 Alpha 752

(6) Anales de la Société historique et archéologique de l’arrondissement de Saint-Malo – Saint-Servan -1984.

(7) Wikipédia

(8) Procès verbal de réception de Duclos-Guyot. Amirauté de Saint-Malo – Archives communales de Saint-Malo, Ref. C4 202. Réception des Capitaines. Cote indiquée dans l’ouvrage Bougainville navigateur et les découvertes de son temps – Thèse présentée pour le Doctorat es lettres présentée à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Paris par J. E. MARTIN-ALLANIC – Tome premier – PUF – Paris VIème – 1964.

(9) Gallica – Journal du siège de Québec en 1759 – Jean Claude PANET – Montréal – 1856.

(10) Les deux expéditions de Pierre DESCLAUX au Canada (1759-1760) – Jean de MAUPASSANT – Bordeaux – Imprimerie GOUNOUILHOU – 1915.

(11) Gallica – Les grands navigateurs du XVIIIème siècle – Jules VERNE – Bibliothèque d’éducation et de récréation – J. HETZEL et Cie – Paris.

(12) Les bateaux du voyage de Bougainville La Boudeuse et l’Etoile – L. DENOIX – Journal de la Société des Océanistes – Tome 24 – 1968

(12) Google book – Histoire de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis – Alex. Mazas – 2ème édition – Tome 2 – Firmin Didot frères et Cie – E. Dentu – 1860

(13) Rapport sur les troubles de Saint-Domingue – J. Ph GARRAN – Tome II – Imprimerie Nationale – Paris – 1796-1799.


Une réflexion sur “Voyages et circumnavigation… Nicolas Pierre Duclos Guyot

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