Quand Charles Henri Tenré devient Henry Tenré…

Face à ma feuille blanche désespérément vierge, je reste perplexe et démunie…

J’ai pourtant choisi depuis longtemps le sujet de ce rendez-vous ancestral. J’en sais des choses, j’en ai répertorié des événements de sa vie, mais il me fuit obstinément, pas moyen d’aligner trois mots, d’écrire une ligne.

Ma réflexion tourne en boucle, le temps file ; la magie d’une rencontre se refuse.  Ne vais-je écrire que sur les conditions de rédaction d’un billet pour un rendez-vous ancestral ? Ce n’est pas le sujet, oh que non.

Inutile de me mettre à mon clavier d’ordinateur, les mots ne viendront pas plus. Je ne peux écrire qu’avec du papier et mon vieux stylo préféré faisant office de talisman. Sans cet objet fétiche pas d’inspiration. Hélas lui aussi ne m’est d’aucun secours.

Mon âme est en peine, je me vois déjà déclarer forfait pour ce premier rendez-vous de l’année. Alors changer de sujet ? Il n’en est pas question… C’est de lui dont je veux parler et rien que de lui, j’ai suffisamment d’informations pour alimenter mon billet et tout est prêt biographie, illustrations, rien ne manque…. sauf l’essentiel, l’inspiration…

Je tourne en rond et la pression s’accentue. Je suis dans un état proche de l’anéantissement, mon monde de l’écriture tangue et s’écroule. Est-ce moi, est-ce lui ? Nous ne sommes pas en symbiose, et le temps file toujours, j’invoque tous les dieux de l’écriture, rien n’y fait. Ne vais-je écrire que sur mes états d’âme ? Ce n’est vraiment pas le propos.

Soudain, une réflexion : et si au cours de ces rendez-vous ce n’était pas nous qui allions à la rencontre de nos ancêtres  mais eux qui choisissent de nous visiter ?

L’écriture automatique, laisser filer les mots sur le papier ; confier à ma plume le soin de me guider ou plutôt m’en remettre à « lui » pour qu’il me conduise. Il ne peut pas me laisser me perdre ainsi ! D’accord il n’est qu’un collatéral de ma généalogie, mais je lui donne une place de choix, je le mets à l’honneur ! Je doute que ces derniers mots lui donnent l’envie de m’aider. Et le temps passe inexorablement…

Alors je gribouille, je noircis ma feuille blanche de dessins, de croquis, je me laisse aller à ce que me dicte mon crayon, j’oublie mon billet….

Et là timidement d’abord, je sens son regard se poser sur ma feuille, sur mes dessins…. Il semble se faire plus présent, mon billet s’articule dans ma tête et paraît lui convenir, je l’entends.

J’en ai mis du temps à trouver le lien qui nous unit, bien évidemment c’est le dessin, la peinture, l’art, pourquoi n’y ai-je pas songé plus tôt !

Car Charles Henri TENRE est artiste peintre, aquarelliste, illustrateur et décorateur. Déclaré à sa naissance par son grand-père, il naît à Saint-Germain-en-Laye, au 6 Cité Henri IV le 15 octobre 1854. Son père Jules Henri Louis TENRE (1819-1895) est banquier, sa mère est Anne Augustine BOUILLET (1828 – 1905) (1). Dernier de la famille, Il a deux frères, Louis Pierre TENRE (Associé d’agent de change – évoqué dans ce billet (ICI) et René François Florentin TENRE (Représentant de la Société Noilly-Prat, intéressé un moment dans la banque de son père) (2).

Alors Charles Henri me prend par la main et m’emmène dans son monde.

« Regarde, observe mes tableaux. Tu n’as pas besoin de mes mots pour en savoir plus, dans ma peinture j’y mets mon cœur et mon âme » me souffle-t-il.

« A toi de découvrir, suis simplement mon chemin… »

Alors je chemine à travers l’œuvre de Charles Henri.

Enfant déjà, Charles Henri dessine…. A l’école, sur ses cahiers, et découvre l’aquarelle très jeune. Assis, auprès de sa grand-mère et guettant son assentiment, il lui montre ses esquisses. Françoise Rosalie TARDIEU (1795-1892), (3) la mère de son père, est elle-même artiste peintre en tableaux et portraits. Elle est issue d’une célèbre dynastie de graveurs, les TARDIEU, elle pratique également la gravure (J’ai cherché longtemps des œuvres de cette femme, mais il semble n’y en avoir aucune trace).

Son petit-fils apprend à « voir ». Leurs promenades les conduisent à contempler, puis à dessiner le château de Saint Germain en Laye. Leurs pas arpentent le musée d’antiquités gallo-romaines de la ville inauguré par Napoléon III en 1867 (4). Ainsi se forment le goût et l’œil de l’enfant.

Alors Charles Henri m’emmène, il pose son chevalet dans les lieux qu’il aime, témoins d’histoire, d’architecture, Château de Saint-Germain-en-Laye berceau de son enfance, châteaux de Versailles et de Fontainebleau. Peinture minutieuse et détaillée des bâtiments, charme des grands parcs et jardins. Harmonie des couleurs, sens du détail, tout en légèreté, hors du temps et toujours hors de toute expression de tumulte. Une nature apaisante, bienveillante. Quiétude et douceur tels sont ses tableaux, tel semble être l’homme à l’abri des modes. Il peint selon son inspiration, selon sa respiration, tout en équilibre, tout en harmonie, rien jamais ne vient troubler sa peinture.

Et puis, des scènes d’intérieur, les portes sont poussées et nous pénétrons dans des salons fourmillant de détails, peintures, boiseries, tapisseries, meubles, objets d’art… Amour du beau des temps passés, nostalgie de ce qui n’est plus ? On sent poindre ce sentiment.

Portraits de femmes, d’élégantes de la société d’alors, mettant en valeur la beauté et la grâce de ses modèles. Mais curieusement, aucun tableau de son épouse dans sa galerie.

Trop âgé pour la Grande guerre, Charles Henry en peindra quelques scènes. Non pas des scènes de combats puisqu’il n’y est pas mais des situations moins dramatiques ; un soldat en galante compagnie, des infirmières….

Son épouse pendant cette période sera Directrice Surveillante Générale à l’hôpital Marie-Hélène à Puteaux, Hôpital auxiliaire n° 29

Certains de ses tableaux sont reproduits sous forme de gravures et de cartes postales. Le Musée d’Orsay, le Musée Carnavalet et le Musée des Arts Décoratifs conservent dans leurs fonds plusieurs de ses œuvres.

Sa peinture est parfois qualifiée de futile, légère, raffinée, délicieuse, mais n’est-ce pas là ce qui lui donne ce charme suranné ? Charles Henri aime la quiétude, enfin je le crois.

Charles Henri ne sera donc pas banquier, Charles Henri deviendra artiste et signera « Henry Tenré » Le i devient y. Ses maîtres seront Edmond Yon, Gustave Boulanger et Jules Lefèvre, tous deux artistes reconnus. Gustave Boulanger (6)est prix de Rome en 1849 et enseigne à l’École nationale supérieure des beaux-arts de 1885 à 1888. Jules Lefebvre (6) est également prix de Rome en 1861 et comme Gustave Boulanger, professeur aux Beaux-arts de Paris (5).

Charles Henri Tenré participe au Salon des artistes français de Paris dont il est sociétaire depuis 1883. Il obtient une mention honorable à l’Exposition universelle de 1900, une médaille de seconde classe à l’exposition de 1911. Et obtient la Légion d’honneur en 1900. Il est attaché à la section ottomane à l’Exposition universelle de 1900.  (7) Mais quels peuvent être ses liens avec la Turquie ? Curieuse toujours, je cherche…. et j’émets une hypothèse.

La grand-mère maternelle de son épouse, Marie Olympe STACOROVICH épouse de Charles JOCOB (banquier) est née à Constantinople (8). A son décès, l’entrefilet du Figaro laisse entrevoir ses liens avec la diplomatie turque. Insérer figaro 18/01/1901. Je n’en sais malheureusement pas plus et les recherches s’avèrent très compliquées.

Charles Henri Tenré épouse le 16 juillet 1894 à Paris dans le 16ème arrondissement, dans la plus stricte intimité, (son beau-père est décédé), Lucie Marie Emilie Aguado, fille d’Arthur Olympe Georges AGUADO et d’Hélène Elisabeth Henriette JACOB (9). Elle a alors vingt-cinq ans, Charles Henri en a quarante. Un contrat de mariage est passé devant Maître Huillier Notaire à Paris, le 9 juillet 1894. Henri n’apporte qu’environ 80 000 francs, Lucie Marie Emilie AGUADO, outre son trousseau, apporte à son époux près d’un million de francs (3).Charles Henri a probablement rencontré son épouse lors d’une visite à ses parents. Au moment de leur mariage, les parents de Charles Henri sont domiciliés à Paris au n° 40 de la rue de Villejust, la mère de Lucie Marie Emilie AGUADO est domiciliée au n° 36 de cette même rue.

Charles Henri TENRE décède, à 72 ans, le 29 janvier 1926 à son domicile au 36, rue de Villejust à Paris 16° (12). Il est inhumé, aux côtés de son épouse, au cimetière d’Auteuil, tombeau Aguado, 1ère division . Elle-même décède à 57 ans, un an après, le 13 décembre 1926 (14).

Si Charles Henri n’a pas été un grand bavard, cheminer à ses côtés fut un plaisir des yeux. Et puis, n’essayons pas d’écrire les mots à leur place, nos ancêtres savent si bien se faire entendre….


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