Cher Aleck…

#RDVAncestral n° 17 – janvier 2018

Pardonnez cette familiarité, mais c’est ainsi que vos amis vous nomment (1). Pour l’état civil vous êtes Alexandre Frederick Mac Donell, né en 1820 à Alger. Premier fils et troisième enfant du couple Hugh Mac Donell et Ida Ulrich.

Vous vous doutez bien que ces quelques renseignements ne me suffisent pas ! Alors je poursuis ma quête par quelques promenades sur le net, ma machine à remonter le temps… Entre deux clics, apparaît soudain cette belle image sépia.

ALEC
Alexander Frederick Mac Donell – Royal Collection Trust – 1883 copy after 1854-6 original Carbon print | 19.8 x 13.7 cm (image) | RCIN 2500108

Incrédule, je vérifie qu’il s’agit bien de vous. Pour tout vous dire, mon imagination avait fait fausse route, je ne vous voyais pas du tout tel que cette image vous représente. La généalogie nous emmène parfois à broder, imaginer portraits et histoires. Mais les preuves veillent, la vérité têtue finit toujours par se manifester.

Donc, cher Aleck, vous vous présentez à moi sur un cliché dont l’original date des années 1854/1856 et probablement pris à Londres par le photographe Cornelius Jabez Hughes (2). Nonchalamment assis sur un fauteuil, non pas de face mais tourné sur la gauche, un de vos bras posé sur le dossier. Vêtu du costume noir de rigueur au XIXème siècle, votre veste fermée d’un seul bouton. S’agit-il d’une fantaisie délibérée ou souhaitiez-vous être plus à l’aise ? Une canne à votre droite, votre main gauche gantée de peau. Etiez-vous en visite ou bien trop pressé pour ne pas retirer votre gant ? Vos mains sont-elles vilaines ? Je n’ose le croire.

Une abondante chevelure bouclée pas vraiment disciplinée et de magnifiques rouflaquettes très tendance à cette époque encadrent votre visage allongé. Des lèvres fines, un nez rectiligne, et le regard perdu au loin. Rêviez-vous de contrées lointaines ou de hauts faits d’armes ? Si l’ensemble dégage un air décidé, j’y perçois cependant un léger amusement. L’exercice vous semble-t-il futile et dérisoire ?

Vous avez tout au plus une trentaine d’années et sur ce cliché, je vous trouve un air follement romantique… Un look à faire tourner les têtes. Je vous imagine écrivain, poète ou musicien… Que nenni ! L’habit ne fait pas le moine !

Rien de cela, vous êtes un homme de guerre. Ce cliché a-t-il été pris lors d’une de vos permissions ? En 1837, à l’âge de 17 ans vous intégrez l’armée de Sa Majesté au rang de second lieutenant dans la « Rifle brigade » (Brigade des fusiliers). Cette année-là, votre souveraine la reine Victoria accède au trône. L’Empire britannique s’étend à travers le monde et cherche à consolider son pouvoir.

Vos campagnes,  vos médailles et vos grades sont  relatés dans bon nombre de biographies, pour preuve :

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p 354 – THE CLAN DONALD – Vol. III –

Je retiendrai que l’armée vous a mené d’abord en Afrique du Sud, lors des guerres Cafres (ICI), où en 1849 votre jeune frère également militaire vous rejoint. Vous irez ensuite en Crimée comme Aide de camp de votre beau-frère Sir George Brown (ICI). Vous resterez quelques années en Inde au moment de la Révolte des Cipayes (ICI). La répression des mutineries est suivie par la liquidation de la Compagnie des Indes Orientales (1858), les Indes deviennent officiellement une colonie de la Couronne administrée depuis Londres.

Mais cher Aleck, qu’en est-il de votre vie ? En Afrique du Sud, vous avez apparemment traversé l’épreuve du feu sans aucune blessure. En Crimée vous avez échappé au choléra, à la dysenterie, à la boue, au froid. En Inde, des atrocités perpétrées de part et d’autre, vous ne dites mot et je ne me permettrai pas d’ajouter mon grain de sel ou de parler à votre place. Vous n’avez pas laissé de témoignage.

Cher Aleck, avez-vous souhaité préserver une épouse des affres des campagnes militaires ? Eviter l’inquiétude des départs et des attentes inhérents au métier des armes ? Toujours est-il qu’à l’âge de quarante ans vous n’avez toujours pas pris femme. Enfin.. Pas que je sache.

Par contre, la presse anglaise, semble le savoir et grâce à elle, j’en apprends un peu plus. Vous rencontrez en 1862, Emily Rutson Dale née Alport, épouse depuis 1859 d’un officier de l’armée du Bengale Alfred James Dale. Vous avez quarante-deux ans, Emily âgée de vingt-et-un ans est mère d’un petit garçon né en 1860. L’enfant se prénomme Alfred Morris Cecil Dale. L’affaire semble avoir fait scandale sinon l’objet de ragots, mais fort de vos sentiments vous épousez Emily en 1867 à Fort William à Calcutta (3).

Le divorce d’Emily et de son époux est relaté dans la presse en juillet 1866.

dale_MacDonell
Chelmsford Chronicle – 20 juillet 1866

Vous n’aurez pas d’enfant. Emily décède en 1886 à l’âge de quarante-cinq ans (4). Vous quittez ce monde le 30 avril 1891 à Croydon, ville de la banlieue sud de Londres, vous avez soixante-et-onze ans (5).

1891 Engraving and description May 16th 1891
Illustrated London News – 16 mai 1891

Cher Aleck, il est déjà loin le charmant jeune homme de notre photographie sépia. Les outrages des ans semblent vous avoir épargné, et l’homme mûr garde tout son charme. Les favoris ont laissé place à une belle moustache, les traits sont un peu plus empâtés, la chevelure un peu plus claire mais le regard est là, intense et mélancolique. Tant de choses vues, que vous ne raconterez jamais.

Le métier des armes n’est pas de tout repos, au service de la Couronne anglaise, comme votre père avant vous, sur les champs de batailles, entre la peur et les horreurs, vous ne me ferez pas croire qu’il n’en reste rien, mais c’est votre histoire intime et votre passé reste pour moi une terre étrangère.

 

Sources :

(1) Settlement and history of Glengarry in Canada – J.A. Mac Donell – Montréal – Page dédicace.

(2) http://www.avictorian.com/Hughes_Cornelius_Jabez.html

(3) British India office marriages – Parish register transcripts from the Presidency of Bengal : 1713/1948 – N 1-120 – Folio 83.

(4) England & Wales death 1837/2007 – Volume 3 page 773.

(5) England & Wales deaths 1837/2007 – Volume 2A page 212.

 


14 réflexions sur “Cher Aleck…

  1. C’est très joliment écrit. Il est plus facile de voyager aujourd’hui, mais on se dit parfois que nos ancêtres ont vu des contrées que nous ne verrons pas. 🙂

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