Lettres à Louise

#RDVAncestral n° 11 – Juillet (ICI)

Louise, Louisa, Louise Catherine Adelaïde Mac Donell. Trois prénoms, un patronyme pour une identité, est-ce bien suffisant cependant pour faire le tour de ta vie ? Est-ce là tout ce qu’il reste de toi ? Vais-je me contenter de cela ? Mon crayon reste en suspens, mes idées s’arrêtent, ma réflexion s’enlise…

Alors je décline à l’infini ton prénom intemporel, Louise pour les anglo-saxons, Louisa pour les ultramontains. Je noircis ma page, de pleins, de déliés, de bâtons, de scriptes, de majuscules, de minuscules….. Une calligraphie pour Louise… Est-ce un moyen de t’appréhender, de m’imprégner de ton passé ? Ma pensée chemine, suit le tracé des courbes de tes lettres, boucle le o, encre la vague du u, s’immobilise sur le point de ton i, dessine les lacets du s et trace le e ou le a pour lier les quatre voyelles et les 2 consonnes de ton prénom. Pas de point à la ligne, seulement trois points de suspension, l’histoire ne s’arrête pas là, tu n’es encore qu’un prénom et quelques dates, tu m’échappes…Impuissante à te donner corps.

Inlassablement, je persiste dans cet exercice d’écriture, qui devient incantatoire, un mantra, un appel. Aladin en frottant la lampe merveilleuse fait apparaître un génie. En alignant ton prénom sur ma feuille blanche vais-je te faire surgir des limbes du passé ?

Je ne crois pas si bien dire, je lève les yeux de ma feuille et tu es là, devant moi, tel un fantôme, et hiératique dans ta robe noire, tu me dis :

« Pourquoi moi ? Pourquoi pas les autres ? Pour quelle raison m’appelles-tu ainsi ? »

Je m’entends te répondre :

« Parce que les autres, je les connais, parce que chacun de vous est important. Parce que chacun de vous apporte une pierre à l’édifice que je tente de reconstruire. Il n’en est pas de moins important ou de plus important. Parce que chacun de vous emporte avec lui une somme de moments, de sentiments, et d’histoires. Certaines ont traversé les dédales du temps, sillonné les mers et la terre pour nous atteindre, certaines se sont perdues, certaines ne sont plus que de vagues anecdotes diffuses qui se diluent dans l’antre de la mémoire. D’autres ne sont que mystères lorsqu’elles ne sont pas rumeurs.

Ainsi, je sais que tu es née à Alger le 11 mars 1816 (1) en des temps troublés. Tu es la première née d’Ida ULRICH et de Hugh MAC DONELL. Tu es « l’enfant au couffin », (ICI) désignation que l’histoire retiendra, 200 ans après c’est ce qu’il reste de toi. Non pas une fable mais une réalité puisque j’ai pu le vérifier à travers différentes sources, toutefois c’est bien trop peu pour toute une vie.

— Et combien de fois ai-je entendu que mes pleurs au plus mauvais moment, ont fait échouer ce subterfuge….

En sais-tu un peu plus ?

— Non, j’imagine simplement que vivre à Florence dans une grande maison parmi de nombreux frères et sœurs fut particulièrement animé et chaleureux. Comme tes sœurs, tu as certainement appris la broderie, la peinture, la musique et les langues. Ida, ta mère, veillant à vous apprendre les règles de savoir-vivre qu’une jeune fille doit connaître. Peut-être étais-tu un peu moins insouciante, fille aînée de la famille tu secondais probablement ta mère et prenais soin des plus petits. »

Louise ne dit rien, elle acquiesce.

« Mais tu sais, Louise, je ne peux qu’imaginer et je peux me tromper totalement. Aujourd’hui, tu viens me faire un clin d’œil, tu me conduis sur le chemin, mais ce n’est pas toujours aussi simple. Ce chemin reste parsemé de doutes, d’embûches et de questions au prisme de notre vie et de notre regard d’aujourd’hui. Nous avons beau nous appuyer sur des dates et des faits sourcés puis vérifiés, cela ne suffit pas pour évoquer une vie. Où est la vérité, dans les dates et encore, mais après ?

D’ailleurs il s’en est fallu de peu que je t’invente une autre vie !

— Raconte !

— Tu épouses à 25 ans, le 21 juillet 1841 à Florence, Georges Burell Cumberland, britannique, capitaine du 42nd Royal Highlanders, les fameux Black Watch (2). L’as-tu rencontré à Malte, Gibraltar ou Florence, je ne sais pas mais peu importe. Cette année là, Emilie Claire ta sœur se marie également à Paris.

Ton époux se remarie en 1845 à Londres (3). Que s’est-il passé entre 1841 et 1845 alors que certaines sources mentionnent ton décès en 1863 ? Il ne peut s’agir que d’un divorce, la réponse est là, tellement simple, comme une évidence. Mon intuition me dit que non, le divorce n’est ni accepté ni acceptable dans certaines familles au 19ème siècle. Je cherche alors des informations, le divorce ne devient légal en Italie qu’à partir de 1970, et pour un sujet britannique, entamer cette procédure reste encore peu courant à cette époque. On sait également que le remariage à l’église d’un divorcé n’est accepté par le clergé anglican que depuis très peu de temps.

Il y a donc un hiatus quelque part mais où ? Je trouve enfin la publication des bans du remariage de ton époux et là tout s’éclaire, ce dernier est désigné comme veuf. Tu es donc décédée entre 1841 et 1845. Quelle que soit l’année de ton décès, je suppose que ton époux a porté le deuil pendant une année, ce qui induirait ton décès entre les années 1841 et 1844.

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Mariages et bans de la ville de Londres – 1845 Saint Mary Church – Marylebone

Je m’explique cela par une confusion des éléments mentionnés sur le Florin web site. Deux dates figurent pour ton décès : le 7 décembre 1842 et le 2 décembre 1863. Le mauvais état de ta pierre tombale ne permet pas une lecture précise. Il est cependant gravé ton âge au moment de ton décès, 25 ans (1816 + 25 = 1841), à un an près cela semble cohérent et compte tenu de ces éléments je retiens la date du 7 décembre 1842 comme date de ton décès.

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Florin web site – Tombe Louise Catherine Adelaïde CUMBERLAND née MAC DONELL

Tu quittes ce monde à Florence un an et 5 mois après ton mariage et le mystère demeure… Que s’est-il passé ? Je peux simplement ajouter qu’aucun enfant n’est inhumé à tes côtés. Ton décès restera donc un mystère. Anglicane tu es restée, ton acte de décès ne se trouve pas dans les registres numérisés italiens.

Louisa Mac Donell, tu n’es pas seulement l’enfant au couffin, et ta vie si brève ne s’arrête pas à cette anecdote. »

Et dans un sourire Louise disparaît de ma vue…

Une rencontre évanescente, un songe d’une nuit d’été…

SOURCES :

(1) Florin Web site

(2) Registre des mariages – Florence – Italie 1840 – 1855 Chapel Registry RG 33 – pièce 114 – Folio 3

(3) England & Wales marriages – BMDs 1837-2008

 

 

 


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